Art Monumental

Commandes artistiques au XIXe s.

Les commandes d’œuvres artistiques des Facultés de Bordeaux au XIXe siècle

A Bordeaux, au 19e siècle, ce n’est pas le respect d’une loi qui motive les architectes à orner les bâtiments dont ils ont la charge mais la fierté, l’orgueil d’une ville de province. Les monuments doivent être « dignes » de la ville de Bordeaux(1) , Bordeaux doit pouvoir être « fière » de ses institutions(2) : il est donc nécessaire que les Facultés soient décorées. Le Beau concourt à la gloire de la ville de trois manières : d’une part par des œuvres de qualité, d’autre part par des œuvres exécutées par des artistes régionaux, enfin par des œuvres représentant des figures locales. Ceci engendre une rivalité avec Paris, cependant la ville et l’architecte restent maîtres de leur projet.

Des œuvres de qualité.
L’architecte et le conseil municipal souhaitent que les œuvres artistiques soient à la hauteur du lieu et de la ville.
Au sujet des deux statues de la Nature et de la Science, devant orner l’entrée de la Faculté de Médecine et commandées par le Ministère de l’Instruction Publique à MM. Barrias et Degeorge, le conseil municipal fait référence à « deux œuvres d’art qui auront certainement une grande valeur artistique grâce aux ciseaux des deux éminents statuaires choisis par le Gouvernement (3) » ou encore « le nom et la réputation des artistes choisis sont de tous garants de la valeur des œuvres qu’ils nous donneront et nous pouvons être assurés qu’elles seront dignes du bel édifice qu’elles doivent décorer(4) » .
Si cette clause de qualité n’est pas observée, des œuvres peuvent se voir refusées, la rivalité Paris/Bordeaux devant cependant être prise en compte. Les maquettes des bas-reliefs de la façade de la Faculté de Lettres et Science, confiées par le ministère à des artistes parisiens, sont refusées en 1884 sous prétexte qu’elles ne convenaient pas à la destination proposée. Les critères de qualité esthétique ne sont pas les mêmes à Paris et à Bordeaux : l’éclectisme parisien fait face à une inspiration antique. Les œuvres sont donc confiées à des artistes locaux : le choix de sculpteurs bordelais permet à l’architecte de contrôler et d’imposer le décor qu’il souhaite et d’affirmer « que l’université se donnait pour mission de transmettre aux jeunes générations la culture grecque et romaine ».

Des artistes régionaux.
Les architectes et le conseil municipal sont soucieux de montrer que Bordeaux aime les arts, qu’il y a des artistes de valeur en province et que l’administration les fait travailler. C’est une des raisons pour lesquelles, ils font refuser les premières maquettes des bas-reliefs de la Faculté des Lettres et Sciences pour les confier à des artistes régionaux. L’Etat passe commande auprès des artistes, mais en tenant compte de la volonté de la ville de mêler artistes parisiens et régionaux. Cependant ce souhait n’est pas toujours respecté : dans le choix des sculpteurs des médaillons de la cour d’honneur de la Faculté de Médecine, le conseil municipal regrette la part très maigre des sculpteurs bordelais et souhaite qu’à l’avenir les Bordelais ait la part le plus importante(5) : sur 14 médaillons, seulement 3 sont confiés à des Bordelais.

Des figures locales.
La Ville de Bordeaux veut promouvoir ses gloires locales. La cour de la Faculté de Médecine est ornée de médaillons représentant d’éminents savants scientifiques régionaux, certains n’ayant pas de notoriété nationale.
Le débat nait pour le choix des bustes de la façade. Le doyen, le recteur et l’architecte, approuvés par le ministère, ont porté leur prédilection sur Tournefort, Laennec, Ambroise Paré, Bichat et Lavoisier. Or le conseil municipal regrette qu’aucun ne soit du Sud-Ouest, alors que « Bordeaux et la contrée qui en dépend ont fourni dans toutes les parties des sciences médicales des personnalités remarquables.(6) » La commission des Beaux-arts et de l’Instruction Publique refuse donc les premières propositions. L’administration académique propose alors de remplacer Tournefort par Jussieu et Ambroise Paré par Dupuytren, gloire chirurgicale du Sud-Ouest.

Rivalité ville/Etat.
La ville est maître d’ouvrage, mais l’Etat, participe financièrement pour plus de la moitié à chaque fois : il offre la moitié de la somme et le marbre pour les Facultés de Lettres et de Médecine et fait don des statues de la Faculté de Droit. En contre partie, il se réserve le droit du choix des artistes et du suivi de la commande. En outre le ministère doit donner son aval à toutes les décisions.
Mais même si la rivalité est réelle, les souhaits de l’Etat peuvent être remis en cause : il n’y a pas de mainmise radicale. La municipalité doit choisir les noms des sculpteurs des bustes de la façade de la Faculté de Médecine dans une liste officielle offerte par l’administration des Beaux-arts au sein du ministère de l’Instruction Publique. Cependant Prévost, sculpteur fixé Bordeaux est accepté alors qu’il n’est pas dans la liste, mais recommandé par une personnalité.
Les bas-reliefs de la façade de la Faculté de Lettres ne sont pas exécutés par les artistes officiels qui sont écartés : l’Etat maintient néanmoins son aide.
Les statues de la Faculté de Droit offertes gracieusement par le ministère de l’Instruction Publique sont réalisées tel que l’avait demandé la municipalité.
La commission des Beaux-arts et de l’Instruction Publique veille au respect des intérêts de la ville de Bordeaux. Cependant parfois, Paris l’emporte pour des raisons financières : les sculpteurs parisiens demandent moins chers que leurs homologues provinciaux, ayant des ateliers plus importants.

Un programme en adéquation avec le lieu.
A travers l’architecte choisi pour la construction de l’édifice, la municipalité est à l’origine des projets de décoration. En principe, l’ornementation de l’édifice est prévue dans le programme originel, excepté pour le Faculté de Droit où rien est mentionné, malgré une proposition de projet.
L’architecte veille d’une part à harmoniser le programme décoratif avec l’institution et le style avec le bâtiment, et d’autre part à la conformité du projet définitif avec le programme établi. Ainsi à la Faculté de Théologie, Lettres et Sciences, Charles Durand décide que les bas-reliefs de la façade représenteront la Théologie, les Sciences et les Lettres « afin que le monument porte en lui-même sa signification symbolique(7) » . Il souhaite que les sculptures soient bien intégrées aux lignes générales de l’édifice et pour cela rendent hommages à l’Antiquité avec des personnages « debout, drapés à l’antique, calmes, de moyen-relief, plutôt sculpture décorative que statuaire proprement dite » . Devant la non-conformité du style, Durand argumentera un refus des œuvres auprès du conseil municipal qui le votera.
A la Faculté de Médecine et Pharmacie, la façade est ornée des bustes de cinq personnalités du monde de la médecine, proposés par un comité dont fait partie l’architecte Jean-Louis Pascal. Ce comité tient à la conformité des savants choisis avec le lieu. « Y aurait-il lieu, comme le dit Monsieur le Rapporteur au conseil municipal de placer dans cette liste des noms empruntés aux gloires locales de notre région ? Il m’a semblé que envisagé de la sorte la question scientifique se rétrécissait singulièrement et qu’en mettant en avant des illustrations locales, on risquait de diminuer la grandeur des figures sous le patronage desquelles nous cherchons à placer notre Faculté.(9) » Le choix définitif présente l’Anatomie au centre (Bichat), assistée de la Médecine (Laënnec) et de la Chirurgie (Dupuytren), avec les sciences accessoires de la Botanique (Jussieu) et de la Chimie (Lavoisier). Cette répartition extérieure ne reflète pas la répartition intérieure. Les figures régionales ne sont présentées qu’en simple médaillons dans la cour intérieure, visibles uniquement par celui qui aura franchi l’entrée de la Faculté. La façade est magnifiée par un groupe monumental de la Nature se dévoilant devant la Science.
La Faculté de Droit abrite deux statues en lien avec la matière enseignée, à savoir Cujas, représentant de l’école historique du droit romain et Montesquieu, magistrat au Parlement de Bordeaux.

Conclusion.
Au 19e siècle, la gestion des Facultés est municipale et malgré la volonté de l’Etat, à travers le Ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-arts et la préfecture de la Gironde, d’imposer son style en apportant ses financements, les décisions locales sont relativement respectées.
Alors qu’au 19e siècle, l’objectif des commandes était non seulement d’aider les artistes mais surtout de promouvoir et de valoriser la Ville qui accueillait les Facultés, ceci ne va plus être possible avec le transfert de la gestion des universités, du niveau local au niveau national.
Avec la loi de 1951, les commandes entrant dans le cadre des « 1% artistique » serviront toujours à aider les artistes mais aussi à concourir à la formation du sentiment face à un art totalement nouveau, dans des bâtiments destinés à appliquer les programmes d’enseignement imposés par l’Etat. Cette loi va s’avérer nécessaire pour permettre à un art radicalement différent de vivre. Sans la loi du « 1% », de nombreux édifices n’auraient jamais été dotés d’œuvres artistiques comme le prouve la réaction du directeur de l’IUT de Bordeaux : « Avant de vous répondre, j’ai voulu solliciter l’avis des mes collègues et de mon conseil. Je peux donc vous informer qu’à l’unanimité, les avis expriment une allergie totale à cette forme d’art, mais que l’acceptation de tels « chefs-d’œuvre » étant une obligation, pourquoi pas le projet que vous proposez plutôt qu’un autre de même style. Il est bien regrettable de voir consacrer des sommes aussi importantes à des objets qui pour beaucoup constituent une offense au bon goût alors que l’art dit figuratif a encore plus d’adeptes qu’il ne semble.(10) »

1 - Registres de délibérations du Conseil municipal, séance du 15 novembre 1887.
2 - Registres de délibérations du Conseil municipal, séance du 7 août 1888.
3 - Registres de délibérations du Conseil municipal, séance du 21 mai 1889.
4 - Registres de délibérations du Conseil municipal, séance du 7 août 1888.
5 - Registres de délibérations du Conseil municipal, séance du 15 novembre 1887.
6 - Registres de délibérations du Conseil municipal, séance du 1er mai 1885.
7 - Lettre de Charles Durand au maire
8 - Lettre de Charles Durand au maire
9 - Lettre de Doyen de la Faculté de Médecine au Recteur, 23 mai 1885.
10 - Lettre du directeur de l’IUT de Bordeaux au Recteur, 16 mars 1976.